La fête de la roue d’Or des Hysorius [conte de la chandeleur]
Il était une fois un village perché tout en haut d’une montagne pointue.
Les habitants en étaient curieux : très grands et filiformes, le poil noir comme le jais, la peau brune comme la brioche qui sort du four et les traits si fins qu’on les eut dit dessinés au pinceau japonais. Leur langue, mélodieuse, sonnait aussi agréablement à l’oreille que le chant d’un ruisseau courant sur les pierres. Leurs enfants leur ressemblaient en tous points mais gardaient tous, jusqu’à leur seizième année, une chevelure rousse qui fonçait après le passage rituel jusqu’à devenir d’un beau noir profond.
Ce passage avait lieu chaque année pour les plus de seize ans le 2 février alors que les jours commençaient à s’allonger, que la nature frémissait d’envie de reverdir et les habitants rêvaient de lumière et de soleil. Les Hysorius se préparaient plusieurs semaines à l’avance. Les mères veillaient à ce que la farine soit bien tamisée, à ce que les poules aient pondu de beaux œufs, à ce que les vaches aient donné du bon lait crémeux. Les pères devaient s’assurer que les disques de fonte soient propres et fonctionnels. Ils décoraient le village tout entier, plaçaient les chandelles le long des rues et suspendaient les draperies brodées de fil d’or le long des façades. Derrière chaque porte, chaque fenêtre l’aiguille piquait, le pinceau courait, le marteau frappait, chacun ayant à cœur d’apporter son talent ou son habileté à la réussite de la fête.
Le grand soir, une lueur dorée habillait chaque rue, chaque maison et la moindre fenêtre en l’honneur des jeunes dont la chevelure rougeoyante allait se transformer en une cascade noire, brillante. Les jeunes entraient ce soir-là dans l’âge adulte, sous le regard bienveillant de leurs parents, fiers de les voir grandir.
Eux, se préparaient au grand saut dans la nouvelle lumière.
Le secret
Tandis que chauffait la fonte et que reposait la pâte , les jeunes décoraient leurs visages de peintures de toutes les couleurs et défilaient dans les rues du village brandissant de longues torches enflammées en chantant à tue-tête.
Au retour, leurs parents leur avaient préparé les disques d’or à déguster.
Cokiyête, la petite sœur de CôkiNoo qui faisait partie de la fête, tentait de transgresser l’interdiction imposée aux petits. Ce n’est pas encore l’heure de ta fête, disait sa maman en mélangeant la pâte crémeuse d’une louche experte.
Pourquoi es-tu si pressée, ajoutait papa, interrompant ses grognements d’agacement devant le crêpier récalcitrant qui semblait ne pas vouloir emboîter correctement sa plaque de fonte.
Mais, je sens que je suis grande, grinçait Cokiyête la gourmande.
CôkiNoo la regardait tendrement avec un brin de condescendance, puisque lui, tout le monde le savait, était grand, vraiment grand. Il allait bientôt changer ses cheveux rouges contre des cheveux jais. Et c’est bien ce qui intriguait sa sœur.
Je vais manger la roue d’Or ! je vais manger la roue d’Or ! clamait le jeune garçon (encore peut-être un peu enfant) pour faire enrager la petite.
Moi aussi…un jour…bientôt…je serai assez grande. Cokiyête se réfugia dans sa chambre et réfléchit. Comment pourrait-elle les espionner pour savoir, pour comprendre et pour se préparer ? Jusqu’ici, aucun Hysorius à sa connaissance n’avait percé le mystère avant le jour J.
Qu’est-ce que maman mettait donc de si extraordinaire dans la pâte à Roue d’Or ? Elle ne l’avait pas quittée des yeux tandis qu’elle assemblait les ingrédients dans la grande jatte de terre .
Elle était même allée voir pousser le blé, moudre le grain entier, sortir la belle farine grise. Elle avait soigné les poules, les avait nourries elle-même chaque jour, avait ramassé leurs œufs qu’elle avait auscultés sous toutes les coutures. Chaque jour, elle avait rendu visite aux vaches, elle était bien sûre que leurs tâches n’avaient pas changé de place car elle les avait photographiées une par une. Elle avait goûté leur lait chaque jour pour vérifier qu’il ne changeait pas de goût, ni de texture. Elle avait même été présente lorsqu’on avait pressé l’huile et apporté le sel. Elle avait testé les deux.
Elle avait parlé aux abeilles qui étaient ses amies et l’avaient autorisée à leur subtiliser un petit peu du miel qu’elles produisaient spécialement pour l’occasion. Délicieux, avait admis Cokiyête, bien meilleur que la pâte à tartiner.
Décidément, elle ne voyait vraiment pas ce qui pouvait permettre aux cheveux de passer du rouge au jais.
Elle décida de se déclarer malade afin que personne ne vienne la déranger, demanda un lait au miel bien chaud et dit à sa maman qu’elle allait dormir. Maman, toute à l’organisation sembla soulagée de la voir ainsi se retirer, mais ne parut pas soupçonner de traitrise.
Cokiyête attendit patiemment que démarre la procession des cheveux rouges et de leurs immenses chandelles. La rue semblait charrier les eaux tumultueuses du fleuve Rouge. Les illuminations des flammes donnaient vie à la matière flamboyante des chevelures toutes si brillantes. Filles et garçons étaient à la fois émus et terriblement survoltés par le mouvement, la musique, la tension des adultes qui les applaudissaient.
Tous riaient un peu trop fort et Cokiyête se disait en les regardant depuis la fenêtre de sa chambre qu’elle saurait se conduire, elle, ce jour-là, quand elle serait grande.
Constatant que plus personne ne prêtait attention à ses faits et gestes, Cokiyête enfila ses chausson doux, ceux que sa mère lui avait tricoté (en fils magiques des femmes-couturières) pour ses 10 ans et la transmission de la-boite-à-couture. Ces chaussons accompagnaient toute une vie car ils grandissaient avec le pied de la jeune fille. Grâce à eux, elle pouvait circuler sans aucun bruit : ils empêchaient les escaliers de grincer, les lames de parquet de craquer, les cailloux de bouger,… Bref, ils étaient magiques. Normalement, sa maman aurait dû les lui prendre ce soir, mais elle avait oublié.
Elle les mit à ses pieds, s’habilla de noir et de rouge pour se confondre dans les lumières de la fête, natta ses cheveux rouges et couvrit les nattes d’un foulard. Et la voici partie pour voir, pour savoir, pour tenter de grandir avant l’heure…
Elle avançait petit à petit, se glissant dans les interstices, le long des bâtiments sans que quiconque la remarque. Elle n’était pas loin de la tête de la procession qui s’approchait du bâtiment où aurait lieu la cérémonie, de plus en plus électrique et bruyante. Elle se pelotonna dans un petit trou, prête à bondir avant que les portes ne se referment sur le dernier. Déjà les merveilleuses odeurs des crêpes chatouillaient ses narines et réveillaient sa faim. Mais la procession n’en finissait pas.
Le dénouement
Tant et tant que, ramassée dans son trou, la petite s’endormit.
Un grand éclat de rire la sortit du sommeil. Son frère, tout changé car désormais affublé d’une longue crinière jais (elle le trouvait magnifique comme jamais) souriait et agitait une belle crêpe dorée ruisselante de miel devant son nez.
Je t’en ai gardé une, pour que tu goûtes… lui dit-il avec un bon sourire.
C’est fini ? demanda la petite déçue et implorante.
Oui. Tu n’as pas encore l’âge requis mais tu vas y parvenir. Tu es déjà une si belle jeune fille qu’ils ont accepté que je t’apporte une roue d’Or et de miel. Tu vois ?
Tous les deux rentrèrent en se tenant par la main. Cokiyête dégustait avec concentration cette crêpe tant convoitée qui la consolait de devoir attendre d’enfin connaître le secret. Décidément, maman et papa étaient de merveilleux cuisiniers, c’était délicieux !
Rouge ou noire, leur chevelure se soulevait doucement dans la brise du matin qui ne soufflait pas trop fort pour ne pas éparpiller les restes de la fête. Ni papa ni maman ne firent de commentaire. C’était inutile. Chacun était bien à sa place et le secret aussi.
Un conte de Hysôre, illustré par le chat pâtissier.
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